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9 Mars 2021
Auteure, metteure en scène, interprète, peintre, Lola Sémonin est une artiste complète qui croque la vie à pleines dents. A 70 ans, elle a encore des dizaines de projets d'écriture à terminer !
Rencontre pleine de surprises et d'émotions, avec cette ancienne institutrice, très tôt visionnaire, appliquant la pédagogie Freinet, créatrice de la célèbre Madeleine Proust, personnage de théâtre attachant franc-comtois qui a fait le tour de la France, sans prendre une ride, auteure de livres primés, qui se confie en toute simplicité et avec humour sur sa carrière exceptionnelle !
Dès son plus jeune âge, Lola, née à Morteau dans le Haut-Doubs, dans une famille de 4 enfants, sent que la femme n'est pas celle qui a le meilleure rôle. Elle joue de stratagèmes, préfère se faire passer pour un garçon manqué afin d'être la plus forte, et battre les garçons ! Ce qu'elle fera à à peine 15 ans, en devenant championne académique de ski.
Douée, elle sait déjà lire lorsqu'elle arrive sur les bancs de l'école. La maîtresse la punit au piquet car, s'ennuyant, elle lit les textes plus loin. "J'ai beaucoup souffert, je me sentais en prison, comme si on me coupait les ailes. J'avais plein de possibilités qu'on ne me laissait pas exprimer"
Le ton est donné ! Elle sera indépendante et rien ne l'arrêtera !
Sa carrière, comme une nécessité de transmettre
"Mon rêve d'enfant est d'être écrivain et artiste. Mais ne connaissant pas d'écrivain, je pensais que ce n'était pas un vrai métier. J'ai adoré lire. Ma mère n'a pas pu être institutrice à cause de la guerre. Depuis que j'ai 2 ans, elle me dit que je serai institutrice. Je ne voulais pas aller contre son rêve pour être aimée".
Précurseure dans bien des domaines, Lola Semonin débute sa carrière comme institutrice dans le village des Arces, au-dessus de Morteau, dès 1973. Là-bas, les parents d'élèves sont tous paysans, ce que ne sont pas les siens. Tout en s'inscrivant au conservatoire en même temps, elle apporte une philosophie novatrice dans sa classe, en enseignant dans la singularité et l'estime de soi, grâce à la pédagogie Freinet. Elle invite régulièrement les parents à participer au programme scolaire et découvre ce milieu agricole pour lequel elle ressent une réelle mission. "Pendant 2 ans, je travaille sur l'appel des racines. C'est comme une nécessité, comme un besoin de transmettre. Dans les années 1980, le monde agricole était dénié, c'était "les ploucs, les bouseux". C'est comme si j'étais venue réhabilitée ce milieu".
Tandis qu'eux, les paysans, découvrent également son mode de vie soixante-huitard, insolite à leurs yeux, pas mariée, la musique, des groupes psychédéliques qui défilaient à la maison, Lola, elle, part en immersion dans leurs habitudes et conditions de vie, leurs démarches, leurs gestes, leurs tics. "J'ai vraiment voulu faire un travail d'ethnologie. Je suis allée chercher toutes ces madeleines de Proust à travers des odeurs (la soupe, les gâteaux, le foin) et la mémoire (on se transmet, on porte en nous nos racines, on est tous issus du milieu paysan) avec une précision d'horloger pour transmettre dans sa chaire, pour que ce soit le plus vrai possible".
Sa première Madeleine de Proust, comme une inspiration de la vraie !
"J’avais 7 ans quand ma mère allait accoucher de ma petite soeur. Elle m’a envoyée passer quelques jours
chez des paysans à Gilley. C’est la première fois que j’entrais dans une ferme." Là-bas, Lola découvre la vie de la ferme, ses protagonistes, les échanges quotidiens. Une Madeleine s'occupe d'elle, la même Madeleine qui était venue aider sa maman à accoucher d'elle. "C’est la première femme qui m’a tenue dans ses bras. Une Madeleine !". Et Gérard de baptiser ainsi le personnage tel un clin d'oeil à Proust.
Si dans son travail d'ethnologue, Lola trouve l'inspiration, note dans son carnet les délicieuses spécificités du langage comme : "la cuisine incarcérée" (pour la cuisine intégrée), c'est son amoureux Gérard Bôle du Chaumont (musicien compositeur) qui les imite et ça la fait rire ! "Puisque ça me fait rire, ça peut faire rire !" pense-t-elle. Les paysans, eux, imaginent que "ça ne va intéresser personne !"
Inscrite au conservatoire d’Art dramatique à Besançon, l'idée d'être seule sur scène l'effleure de plus en plus. Elle donnera d'ailleurs son premier spectacle avant de passer le 1er prix, pour lequel elle pourra citer son propre texte dans l'épreuve moderne !
En 1981, la Madeleine Proust est née.
"La Madeleine Proust, c’est une partie de moi, héritée de la femme archaïque, la femme ancienne, la mère, la femme mise au second rang par la société des hommes, mais aussi la femme forte, faiseuse de l’histoire, tremplin de l’homme, femme courageuse, travailleuse, donnant la vie entre la traite et la soupe. En jouant la Madeleine Proust, j’ai redonné aux femmes ce qu’elles m’ont offert de leur mémoire, de leur vie. La Madeleine Proust, c'est cette femme archaïque que l'on porte tous en nous".
Le décor sera une cuisine en formica. "Il y aura la bande-son du quotidien et l’odeur de la soupe. On vend tout ce qu’on a : les instruments de musique, les encyclopédies, la belle DS 23 injection électronique."
En 1982, Lola arrête l’enseignement. La Madeleine Proust va pouvoir s'envoler !
En forme, à Paris, en Haut-Débit avec Kamel, à faire le tour du monde puis ses adieux, la Madeleine Proust séduit et joue sur le choc des cultures !
En 1982, la première de "La Madeleine Proust en forme" a lieu à Morteau dans un théâtre de poche. Le spectacle sera joué 17 fois. Dès les premières représentations à Morteau, un toulousain exilé sent la richesse du concept et appelle son ami Pierre Bonte à Europe1, qui aussitôt invite Lola Sémonin à son émission. Puis c’est Drucker, à la radio d’abord, puis à son émission mythique de Champs Elysées, fin 83.
Pendant 3 ans elle joue dans 350 villes et villages de Franche-Comté et de Bourgogne.
En 1985, elle monte à Paris et joue au théâtre Présent. La presse encense le spectacle.
La machine est lancée ! Le rêve se réalise !
En 1986, Lola Sémonin crée un 2ème spectacle où elle emmène toute la campagne à la capitale : "La Madeleine Proust à Paris". Un décor exceptionnel qui se décline aux couleurs des 4 saisons (une ferme de 7 mètres de haut, des vrais sapins, des vraies poules qui courent sur la scène) et les thèmes éternels du quotidien rural comtois (le temps, le jardin, la santé, la religion, la mort), bousculés par l’actualité (mort de Coluche, le Mondial, la dictée de Pivot). C’est de nouveau un raz de marée : 3 ans du Déjazet au Palais des Glaces en passant par le Gymnase, des tournées nationales à guichet fermé et nominations aux Molière en 88 et 91.
La Madeleine séduit autant dans sa cuisine en formica que dans un décor féerique !
En 2002, "La Madeleine Proust fait le tour du monde !", direction Paris, 3 mois aux Bouffes parisiens, 3 soirs à l’Olympia. Lola emmène son personnage vers plus d’ouverture, plus de fraternité. La Madeleine ouvre les yeux sur l’inconnu, rencontre l’étranger, lâche ses à-priori. Elle nous parle de la mondialisation, de l’écologie, des médecines douces. De ce monde qui change en même temps qu’arrive l’euro...
Tout comme Lola, la Madeleine s'ouvre au monde !
En 2008, c'est le choc des cultures avec Haut Débit ! La rencontre entre La Madeleine et Kamel, un môme du 9-3. Tous les à-prioris de part et d’autre sont démontés un par un. Ils apprennent à se connaître, à se comprendre, à s’aimer, à se transmettre. Pour écrire ce spectacle, Lola part en immersion au bord de la mer, à Marseille où elle rencontre des "petits rebeus". Il n'y a pas de décor, le texte a suffi à émouvoir les spectateurs qui demandaient à rencontrer Kamel, alors joué par Lola ! S'en suivra le rap de La Madeleine !
Avant de tirer sa révérence, sur scène !
En 2013, La Madeleine Proust profite de fêter ses 30 ans de scène pour faire ses adieux à la scène : "La Madeleine Proust, 30 ans de scène"retrace tout le parcours et boucle la boucle : La Madeleine revient dans sa cuisine comme en 1983, mais elle n'a plus d’acuité, plus d’empathie, plus d’ouverture.
Comme l’a écrit si merveilleusement un spectateur : « La Madeleine Proust, on ne l’oubliera jamais, parce que ce n’est pas une femme, c’est une âme ».
La notoriété n'est pas sa panacée, place à la spiritualité !
Si la popularité de son personnage n'est plus à démontrer, tout au long de ces années, sa créatrice, Lola Semonin, a eu besoin de souffler. En 1985 déjà, elle rencontre sur un plateau télé, un voyant habillé en SuperMan auquel elle pose cette question ! "Est-ce que je vais en avoir encore pour longtemps de cette Madeleine ? " Aussitôt, elle voit dans son regard des yeux de serpent comme ceux de Kaa dans le livre de la Jungle, qui lui signifie une sorte d'infini. "C'est merveilleux, c'est l'oeuvre d'une vie", lui répond-il. Elle se met à pleurer...
Le Grand Théâtre à Paris, les Molières, les tournées, sont sans fins. En 1991, Lola en a marre de tout ce qu'il y a autour de la tournée et ce qui se mettait certainement à bouillonner fort en elle, c'est qu'elle devait être écrivain !
Jusqu'à cette représentation où elle chute sur le dos. Une gros bruit retentit dans le micro. Le public rit. Mais cet exercice acrobatique ne figurait pas dans le programme. La nouvelle régisseuse, axée sur le développement personnel, confie à l'actrice de théâtre, que tomber sur le dos n'est pas dénué de sens : elle en a plein le dos ! Elle lui laisse un prospectus que Lola feuillette après avoir fini sa tournée. "Je jouais les 4 saisons avec son immense et impressionnant décor. J'ai dit à mon producteur : j'arrête tout ! J'ai pris une pause de 4 ans où j'ai suivi des stages, suis allée méditer dans le désert, ai commencé à écrire mes romans".
Si à ce moment, elle pense déjà à faire revenir la Madeleine dans sa cuisine en formica, pour remercier ses fidèles fans, d'autres événements s'immiscent dans sa retraite spirituelle et l'amèneront à créer encore 2 autres spectacles. Elle est sollicitée pour travailler sur une écriture de scénario qui ne verra pas le jour, des courts métrages à succès, et France Bleu lui commande un feuilleton de 60 épisodes sur la Madeleine. Elle lui colle à la peau, tout en se détachant en douceur du théâtre.
En 1999, c'est le décès de son amoureux Nikola, "pourtant 20 ans plus jeune que moi. Je suis partie 4 mois en Inde me reconstruire. Là-bas j'ai le déclic. Je ne veux pas laisser la Madeleine devant sa ferme. Il faut que je l'emmène faire le tour du monde avec moi". C'est là que naît l'écriture du 3ème spectacle, celui qui propulse La Madeleine faire le tour du monde ! S'en suit quelques années plus tard, comme mentionné plus haut, une virée à Marseille pour écrire devant la mer le quatrième spectacle, le choc des cultures avec Haut Débit et le personnage de Kamel.
"Normalement, c'est fini", souffle-t-elle enfin, "jusqu'à ce que je m'aperçoive que c'était mes 30 ans de scène. Pour mes fans si bien bienveillants, pour remercier mes sponsors, je vais faire un spectacle. Je vais reprendre la cuisine pour jouer dans les villages, comme au début, et ça sera le grand écart entre le temps passé et les nouvelles technologies. ". Mais en 2011, les tourneurs ne sont pas au rendez-vous. Les humoristes, mis à part les Bodins, ne se déplacent plus avec des décors. On ne veut donc pas s'encombrer du sien. Lola produit alors elle-même en 2018 sa tournée d'adieux en Bretagne, au Centre et en Bourgogne Franche-Comté. Elle finit à L'Olympia. Les fans sont en larmes.
"Le plus dur, c'était de partir lorsque les dates étaient éparpillés. Qu'il fallait me remettre dans chaque détail avec précision. Dans mes spectacles, tout est calculé, chaque geste, chaque déplacement. Chaque spectacle est une partition de musique. J'ai un de temps précis par exemple pour éplucher une pomme de terre, pour enfiler un gilet, pour traverser la scène, en accord avec le texte. Si j'ai un blanc... la mécanique grince, le rythme se dérègle C'était moins facile que quand c'était des séries de représentations, ça roulait ! Mon jeu était fluide, l'alchimie avec le public était plus ludique. Je n'ai pas supporté la notoriété, je ne pouvais plus aller nulle part. Je suis solitaire et je trouvais ça violent, dur"
L'écriture vit en elle
Au moment de l'écriture de son dernier spectacle, Lola n'a pas moins d'une dizaine de romans débutés, preuve de sa passion ! "J'adore écrire. Je me mets dans ma bulle, je suis comme au cinéma. Je n'ai plus qu'à bien choisir les mots pour dépeindre ce que je vois, ce que mes personnages ressentent."
En 2000, elle publie son premier roman aux Èds. JC Lattès & Sekoya : Le cri du Milan, qui reçoit le prix Louis Pergaud. Une consécration !
"Lola Sémonin signe un travail
de haut vol, balançant entre
le polar pur race et le conte
philosophique à la sagesse
inspirée."
Le Matin
"Superbe vol majestueux.
Ça se lit d’un trait, et, après,
ça se déguste par petites
bouchées."
Régis Nusbaum -France 3
"Ce milan a la verdeur de Simonin
ou d’Audiard et la poésie de
Brassens."
Jean Paul Govignaux - L’Est
républicain
En 2011, les éditions Flammarion lui demande d'écrire la vie de La Madeleine : "Un beau cadeau ! Je n'y avais jamais pensé ! La saga littéraire de la Madeleine Proust, Une vie ! En écrivant cette saga littéraire, je rends vivant le petit enfant qui sommeille dans la Madeleine. Un nouveau souffle, une nouvelle jubilation s’empare de moi sur scène. Ce personnage de théâtre devient personnage romanesque. "
Le tome 1 "Quand j’étais p’tite" (1925 -1939) et le tome 2 "Ma drôle de guerre" (1939 -1940) sont déjà sortis aux Èds. Pygmalion, le 3ème "Sous la botte" est attendu pour ce mois d'août 2021 Eds des Presses de la Cité et le 4ème pour août 2022 !
Lola reçoit le prix André Besson de la main de l'auteur pour "Quand j'était p'tite". Et de nouveau, les critiques sont unanimes :
"C’est passionnant. On entend la voix de la Madeleine. On rit et on pleure". France 2- C’est au Programme Damien Thévenot et Sophie Davant
Elles ne s'arrêtent pas pour Ma Drôle de guerre :
"Cette fois encore, la magie opère.
Le projet romanesque va
bien au-delà du pittoresque
par l’énergie frondeuse qui
s’en dégage. L’orfèvrerie
des dialogues, la richesse
du vocabulaire, la force de la
mémoire. Mais comment fait-elle
un truc pareil?"
Figaro Madame
"Ces romans appartiennent
à notre patrimoine et à notre
mémoire collective !"
France 5 - Allô Docteur
Gérard Collard
Aujourd'hui, à 70 ans, Lola a hâte de s'y remettre à tous ses romans ! "Ma maison donne sur le paysage, avec une grande baie. Je m'installe et j'écris. A 50 ans, on a plein de temps. Mais à 70, comme dit la Madeleine "On est sur l'autre versant... Ca rapproche !" Whoua, même si je vais jusqu'à 90 ans comme mes parents, il n'y a plus que 20 ans ! Je compte le temps ! Je me consacre à ma passion de toujours : l’écriture. L’écriture vit en moi comme une seconde peau. J’y pense tout le temps. Elle n’est pas séparée de moi. Elle est ma vie. " Artiste complète, serait-ce de famille ? "Je pense que ma maman aurait aimé être chanteuse d'opéra et mon papa acteur", épicurienne, maman d'un grand garçon de 42 ans, réalisateur et photographe, féministe affirmée, veillant à ne jamais dépendre financièrement d'un homme, elle a également peint pendant 2 ans des paysages du Haut-Doubs à la craie grasse. "J'aurais aimé chanter, être musicienne, orchestrer, réaliser", lâche encore celle qui a plus d'une corde à son arc, pour nous divertir, pour nous donner des émotions et qui a l'immense gentillesse de glisser un précieux conseil à nos lectrices et lecteurs !
" Oser tout lâcher ! Quand on a un rêve, il faut vraiment le tenir, ne pas écouter les gens autour de
vous qui vous disent que vous n'y arriverez pas car ça réveille en eux l'incapacité d'oser !
Foncez ! La vie vous aidera "
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et Instagram : lamadeleineproust